L’étonnement devant le monde perçu constitue la source où, inlassablement, s’éprouve la distance entre le savoir qui cherche à comprendre la multiplicité fugitive des choses, ses élans raffinés ou violents, et le mystère que les sens accueillent (…) La science tend à faire oublier la capacité de sentir propre à l’humain, elle promeut trop souvent l’ordre d’une rationalité antagoniste de la sensibilité en unique détenteur de la vérité des choses. Pour la science, il s’agit de prouver et non d’éprouver, de poser des problèmes afin de construire un modèle d’explication et non de se contenter de ressentir, avec sérénité ou inquiétude, l’énigme des choses.
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S’il est une prière de la sensibilité, seuls l’entendront ceux qui feront taire leur volubilité, fût-elle informée du meilleur de la science et de l’exactitude de son verbe, pour se tenir disponibles aux mots fragiles où les hommes essaient de dire ce qu’ils voient et entendent. Seuls la percevront ceux qui se rendent attentifs à la liturgie du corps humain, corps tendu par tous ses sens vers une réalité qui le dépasse.
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« Où en est la nuit? » Ces mots d’Isaïe engagent à penser que lorsqu’elle signifie « que suis-je en droit d’espérer? » la meilleure réponse, la seule licite peut-être, ne vaut pas exactitude mais tient dans l’incitation qu’elle donne à se mettre soi-même en chemin, malgré la nuit qui prévaut encore (…)
Se diriger vers une terre encore invisible, vers des heures qui congédieront la misère, sans autre assurance que celle d’une Parole qui éclaire les yeux afin que nul ne s’endorme dans la mort
Catherine Chalier, Sagesse des sens
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