(...) Elle avait laissé ses traces sur tout ce qu'elle touchait, avant d'être à son tour façonnée par ces traces. L'attrapant en danger de mourir, la société l'a privée de sa forme de vie propre. Ainsi dépouillée, elle a perdu sa capacité de se débrouiller. (...)
L'acte personnel du mourir, ici exprimé par un verbe intransitif, est hors de sa portée. (...)
Elle souhaitait explicitement ne pas être recrutée dans cette région limitrophe où végètent aujourd'hui des milliers de personnes qui ne sont ni ici ni là...
Elle avait compris que, en tant qu'habitant vieillissant du premier monde, vous êtes promis à cet état dans lequel on vous rend impuissant face à la mort, à moins que vous ne preniez la décision de ne pas vous laisser prendre, mort ou vif.
(...) Ceux dont le "bios" en tant que personnes est terminé, mais qui continuent de rôder au seuil de l'éternité du fait des techniques modernes. (...)
Le serment d'Hippocrate, qui interdit au médecin tout vain effort en vue de guérir un agonisant, a été dénaturé par les interprétations des hellénistes du XIXe siècle. (...)
Aujourd'hui, les enfants sont habitués à comprendre ce qu'ils font maintenant au regard d'un avenir dont on a calculé pour eux le degré de probabilité, et à comprendre l'avenir comme une chose qui les frappera du fait qu'ils ne se sont pas prémunis maintenant. Cela les forme à vivre dans une Nulle Part, dans un "Ni maintenant, ni alors". Un enfer a-topique et a-chronique.
(Il faut) se préoccuper de l'heure du mourir à notre époque.
Ivan Illich, La perte des sens, Longévité posthume
@ Photos by Esther Hege, gestalt-thérapeute, psychothérapie
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