Etre en retard, c’est faire l’école buissonnière, prendre des chemins de traverse, ne pas aller droit au but, ne pas aller au but même, mais jouir de ce laps de temps pour recommencer à vivre et à redonner vie à quelqu’un qui se sentait mourir.
C’est que, en effet, il faut un « laps » de temps pour qu’apparaisse la vérité d’une vie. Le retard est ce « laps » du temps, ce moment où le temps se remet à « glisser » (…) au lieu d’aller d’échéance à échéance, en un fracassement temporel qui fait vivre le sujet dans une insomnie permanente.
Même quand il nous dérange, qu’il nous tombe dessus sans prévenir, bousculant nos plans et nos « emplois du temps », le retard est le temps de la surprise. L’avion est en retard, la correspondance de vols est ratée, la valise est perdue (…). Le retard nous fait sortir de nous-même et de l’illusion, entretenue par la technologie, de l’autosuffisance. Il nous oblige à parler, à demander, à accepter de l’aide. Il nous donne la chance de rencontrer l’hospitalité de l’autre (…).
Le retard peut devenir stratégie de résistance. Il est une autre façon de dire « je n’ai pas le temps » que le cri de détresse de celui qui est sous pression. Dire « je n’ai pas le temps » c’est rappeler à la politesse, c’est dire « non » à un abus de pouvoir.
(…)
S’autoriser un retard ne va jamais de soi. Le vrai retard requiert un risque personnel, un courage qu’on puise quand on décide d’échapper à la soumission. C’est en se mettant en retard qu’on peut cesser de se remettre soi-même à plus tard. C’est dans le retard qu’au moment où tout devient éphémère, on peut recommencer à sentir la durée.
L’expérience du retard, même si elle est vécue dans le stress, nous oblige à prendre en compte la résistance du temps. Dans le retard qu’il nous impose, le temps témoigne qu’il n’a pas dit son dernier mot.
Hélène L’Heuillet, Eloge du retard
© Photos by Esther Hege, gestalt thérapeute, psychothérapie
Comments