L’exil s’abat sur un homme avec la soudaineté de la tempête. Elle vient le débusquer là où il se trouve, immergé dans l’inertie de l’existence et de l’évidence, pour l’en sortir avec violence. Cette brutalité est à la mesure de l’insouciance que cet arrachement ébranle à jamais. Avant de connaître l’exil, en dehors de l’exil, l’homme ne sait pas exister en effet. Il existe et son existence se suffit à elle-même comme s’il était le fruit d’une sécrétion naturelle ou le produit d’un terroir, d’une culture, d’une tradition familiale… Il ne s’appartient pas, même s’il vit comme si tout lui appartenait, au point de faire corps avec son monde. L’exil vient rompre cette relation d’identité de l’individu avec son milieu. Fracture, déracinement, souffrance, une vie entière, la vie « d’après », ne suffira pas à méditer et à comprendre ce moment de cassure, le « moment » absolu, un instant dans lequel se recroqueville l’essentiel, l’essence même de l’existence et de la subjectivité. Dans cette perspective, l’exil pourrait bien être défini comme une rupture passive. Rupture il y a, dissociant à jamais l’avant de l’après de ce moment fatidique, et dont la perte de la terre, l’effacement des repères quotidiens, la ruine des habitudes mesureront par la suite la profondeur. Mais rupture venant toujours du dehors pour la conscience, ni voulue ni recherchée par l’exilé qu’elle accable comme par fatalité.
Shmuel Trigano, Le temps de l’exil
© photos par Esther Hege, Gestalt-thérapeute, Psychothérapie
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