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Une expérience de la perte



Il n’y a pas de conscience immédiate de l’exil, puisque c’est l’exil qui révèle après coup, après le départ, que l’on habitait un lieu. C’est dans le souvenir du départ que le départ se manifeste et peut être identifié. Sur le moment, la conscience est comme assommée, aphasique. La rupture d’un départ est toujours brutale et précipité, puisqu’il s’agit d’un événement qui s’impose du dehors et vient forcer la quiétude et la passivité. (…) Celui qui devient un exilé perd tout, d’un coup, part en laissant tout derrière lui, l’héritage tiré des générations qui l’ont précédé et sa propre consistance existentielle qui fait corps avec le milieu où elle s’est développée.

(…)

L’exil est avant tout une expérience de la perte, de la disparition, de l’absence. Le monde de couleurs, de sons et de parfums dans lequel on évoluait, soudain se dérobe. Qu’est-ce qui se dérobe et que l’on perd ? Tout ce qui portait le moi se retire et l’isole dans la solitude. Le moi se reconnaît alors, lui-même, pour la première fois réduit à lui-même. Mais est-il encore le « même » ? Avant la cassure du départ, qui peut imaginer qu’il faisait à ce point corps avec la réalité extérieure au point de n’être rien sans elle ? Chacun a conscience de son identité subjective, croit se « posséder », être pleinement conscient de ce qu’il est solitairement, se suffisant à lui-même. Nul ne peut imaginer combien il est peu de chose sans le milieu qui le porte. Une des découvertes les plus confondantes du départ en exil consistera justement à prendre la mesure de la valeur du monde qui nous entoure et du moi caché dans notre intimité.


Shmuel Trigano, Le temps de l’exil





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